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Habiter en écriture

Frédérique Germanaud et Marcelline Roux invitent des écrivains à témoigner sur leur rapport au lieu d'écriture.

Bernard Bretonniere

C’était cette nuit, dans mon lit : juste une phrase, pour ne pas l’oublier et pouvoir l’insérer ensuite dans un texte en chantier. Mais j’écris toujours, et partout, des bribes minuscules (un mot, une demi-phrase), des fragments, qui sont plus tard recomposés ; j’écris dans ma voiture (en conduisant, oui, mais en ralentissant un peu), j’écris lorsque je circule à bicyclette (mais là, je dois mettre le pied à terre), j’écris dans ma cuisine, j’écris dans ma salle de bains, j’écris dans les cafés et les restaurants, j’écris dans les jardins (publics et privés), j’écris sur le bac grâce auquel je traverse la Loire, j’écris sur le bateau qui me conduit à l’Île d’Yeu, j’écris sur la plage, j’écris en mangeant, j’écris la bouche pleine, j’écris en visitant des maisons d’écrivains, j’écris en faisant mon marché, j’écris en écoutant la radio, j’écris en regardant (distraitement) la télévision, j’écris dans les salles de cinéma, j’écris pendant les représentations théâtrales et les concerts, j’écris pendant les fêtes de famille, j’écris pendant les messes de mariages et d’enterrements, j’écris pendant les lectures publiques d’écrivains, j’écris pendant les vernissages d’expositions, j’écris pendant les minutes de silence, j’écris pendant les discours d’inaugurations, j’écris pendant toutes sortes de réunions, j’écris dans les bibliothèques, j’écris dans les festivals littéraires, j’écris dans les musées, j’écris dans les hôtels, j’écris dans la rue, j’écris dans les Carrefour et les Lidl, j’écris dans les cimetières, j’écris dans les gares, j’écris dans le train, le bus, le tramway, j’écris assis, j’écris debout, j’écris couché.

 


 

 

Mais la dernière fois que j’ai écrit un texte suivi, c’était (voilà moins de quinze jours) à la fin d’une résidence d’auteur en Haute Sarthe, précisément à Fresnay-sur-Sarthe, dans la bibliothèque déserte de la maison de retraite (dite « foyer logement ») où j’étais hébergé ; jamais je n’avais vu le moindre des occupants dans cette vaste pièce où sont mis à leur disposition une ou deux centaines de livres d’auteurs aussi variés que Madeleine Chapsal et Albert Camus, la comtesse de Ségur et Pearl Buck, Dashiell Hammett et Jeanne Bourin. Très au calme donc, j’y ai écrit, à la main, assis sur une chaise Baumann (Émile), les six exemplaires d’un livre pauvre réalisé avec Lou Raoul pour la collection « koːra » (Compagnie des Productions du Pentamino).

C’est dans un immense château moyenâgeux dont j’aurais la jouissance exclusive que je rêverais d’écrire. Pour son environnement de vielles pierres chargées de mémoire et pour l’espace. J’aime m’étaler et étaler livres, documents, carnets, cahiers, feuilles arrachées : brouillons, versions successives d’un texte, petits bouts de papier griffonnés. La pièce principale ne mesurerait pas moins de deux cents mètres carrés et son sol de carreaux de terre cuite ou de dalles de granit serait jonché de ces matériaux tandis que d’autres seraient savamment classés à plat sur une douzaine de grandes tables. Le chauffage serait assuré par une chaudière à textes ratés.

Il n’y a qu’en prison, là où l’on m’aurait privé de papier et de crayon, que je ne pourrais pas écrire. Encore qu’il me resterait mes doigts, mon sang et les murs.

 

bobo.jpg

 

 

 Si j’aime visiter les maisons d’écrivains, de la même façon que j’aime visiter les livres, c’est pour y traquer le grand secret de l’écriture. Peut-être est-il caché dans cet encrier, sous ce tapis, derrière cette plinthe, contre le dossier de ce fauteuil ou à l’intérieur de la boule d’amortissement de cette rampe d’escalier.

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